trois femmes
michel guerbal
1
L'armée
des soldats de terre salue le char funéraire:
L'allée
des animaux conduit à la nécropole.
On
reconnaît l'hippopotame, la girafe, le lion, le python, l'aigle, le
griffon, le garuda, le dragon.
Les
ossements blancs précèdent la chambre des tombes.
Des signes trop anciens pour nos mémoires.
Ceux-ci ont tant aimé la guerre, qu'ils la voulurent pour l'éternité.
Dans un coin, le minuscule squelette d'un singe, encore vêtu de sa tunique noir et or.
Nous étions fatigués, moi et ma soeur. Nous avions froids, nous étions écoeurés maintenant.
Je sais qu'elle aurait aimé parler, mais je ne voulais pas l'entendre.
Je songeais à des populations inconnues, d'un seul coup envolées de l'autre côté de la perception.
Mais ceux-ci ne connaissent que l'épée et les routes.
Ils ont fendu un sillon d'échec pour l'humanité.
Il a fallu sortir. De la baie d'un arbuste, j'ai frictionné les gencives de ma soeur.
Plus tard, devant la maison où nous avions loué une chambre, un enfant nous a servi, dans une minuscule tasse de terre, un thé noir et amer.
Toute la nuit j'ai gardé les yeux ouverts dans la faible lumière des étoiles,
et quand l'aube lacteuse est venue animer les formes, je me suis assoupi.
2
Une autre
fois, j'ai habité à cheval.
c'était
une plaine immense, brûlée par le soleil et le gel
J'avais
sur la tête un casque très plat.
Tôt le
matin, levant le camp, nous laissions derrière nous l'odeur du lard
passé
du crottin
et des cendres de feu.
Je me
nourrissais d'oignons crus, de lait de jument
J'aimais:
trotter autour des chariots ( femmes et enfants ), fier,
parfois
galoper loin de la troupe et des bruits
devant ou
sur les bords,
dans cette
plaine qui ne s'achève pas.
Nous
détruisions en chemin quelques villages
C'était
simple comme le chat sous la tente, près du poêle.
Idiots
éventrés, paysans pendus aux crochets de leurs boucheries.
Quelquefois,
je pris une femme en croupe.
Puis, plus
tard, je la laissais, forme vacillante, émouvante,
dans la
vastité des collines. Je la regardais en partant.
Nous nous
heurtions, comme une vague, aux murailles des villes,
partout
nous incendions, églises, animaux.
Nous avons
essayé de ne rien oublier.
Un art
gracile nous accueillait,
beau comme
un rêve de vierge,
les plombs
et les ors des fresques fondaient à la chaleur de mes torches:
ah !
c'était beau !
Mais j'ai
dû abattre mon cheval.
A
l'instant de lui porter le coup, il s'est débattu,
je me suis
couché sur lui, je lui ai mordu l'oreille,
c'est à
l'échine que je l'ai frappé.
Il n'est
pas mort tout de suite:
il s'est
relevé en tremblant, je l'ai frappé et refrappé,
il
hurlait, ses pattes splendides battaient dans l'air, vers moi,
il
m'envoyait des jets de salive sur le visage, la poitrine, les bras.
Qui n'a
pas tué ignore le plaisir.
J'en ai gracié une, qui m'a montré le poing, et son nom: Yi.
Un matin,
je l'ai frotté
à la
rosée glacée qui blanchissait les herbes,
tout le
jour elle a couru, nue et folle
à côté
du chariot. Le soir,
jeté sous la tente, je l'ai gardé
pour servante et pour femme.
3
Une autre
guerre, très patiente celle-ci, ce fut celle des villes marginales:
les
grandes avenues, les dômes de feu... ne contenaient plus.
Vint le
temps des cultures hydroponiques aux balcons,
des
matelas hâtivement jetés au sol dans les trous-de-mur
des
banlieues abandonnées, flanqués de petits autels vacillants,
deux
bougies contre la nuit et la peur des rôdeurs.
Des icônes
aux tracés volontairement effacés pour retrouver la voie de
l'inconnu,
la
présence cruelle des songes, O ces fées infimes
chevauchant
les plumes de neige, de poussière, tombées des pigeons estropiés.
- Tu as
froid ? tu as froid ?
- Non,
je...
- Tu es
trop de la balle.
- Oh
tais-toi ! nous construirons d'ici. Je n'ai pas peur.
- Je te
taillerai des perles d'oreilles en granit de trottoir.
-
N'importe quoi: pour infecter les lobes, impeccable. Qu'est-ce qui
faut pas entendre. Mets ta main là... là.
- Un
pendant de miroir et des billes d'aciers.
-
D'accord, et maintenant on dort. Parle-moi encore.
Ils
descendaient des toits par les gouttières, exerçaient leur corps
pour des
batailles promises: ce seraient, ils le savaient,
des luttes
comme celles antiques, de corps à corps, souples et forts.
Ils
s'armaient aussi, d'armes mystérieuses, bricolées.
Les
garçons sautaient de toits en toits, s'élançaient depuis les
antennes dans le vide;
les filles
y ajoutaient des clôtures dans les labyrinthes de verre des
lunaparks ruinés,
conduisaient
des maisons déguisées en voitures.
Tous
mangeaient des fleurs, capucines et orties, des algues et des oeufs.
Parfois,
le soir, ils inventaient des histoires pleines d'esprits diaboliques,
de pensées enfouies dans les souches, de lycanthropes, de fous
télépathes, de virus métamorphiques, d'extra-terrestres, de
drogues anciennes-nouvelles pour coloniser les étoiles.... ou
échapper aux typhons.
Quelquefois,
ils étaient heureux.
Heureux ou
pas, ils furent assez patients, sans l'avoir désiré:
la
désorganisation fut, en définitive, la clef imprévisible d'une
victoire.
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