vendredi 19 avril 2019

Pantagruélion



Littérature vive. Éloge du pantagruelion, c'est le chanvre, par le libre Rabelais.

Et bien palper cette belle question qu'il pose en passant ( en passant, mais crucial comme le reste ):

"Croyez la ou non, ce m’est tout vn : me suffist vous auoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d’accés assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i’auoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & vne d’eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous ? comment les separeriez vous ? de maniere que vous me rendriez l’eau à part sans le vin, le vin sans l’eau, en mesure pareille que les y auroys mis."
Eh ouais ! Et j'en dis : que ceci est vie, ceci est littérature, ceci est vie littéraire, ceci est littérature vivante.


L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finante en poincte obtuse, blanche, à peu de fillamens, & ne profonde en terre plus d’vne coubtée. De la racine procede vn tige vnicque, rond, ferulacée, verd au dehors, blanchissant au dedans : concaue, comme le tige de Smyrnium, Olus atrum, Febues, & Gentiane : ligneux, droict, friable, crenelé quelque peu à forme de columnes legierement striées : plein de fibres, es quelles consiste toute la dignité de l’herbe, mesmement en la partie dicte Mesa, comme moyene, & celle qui est dicte Mylasea. Haulteur d’icelluy communement est de cinq à six pieds. Aulcunes foys excede la haulteur d’vne lance. Sçauoir est, quand il rencontre terrouoir doulx, vligineux, legier, humide sans froydure : comme est Olone & celluy de Rosea pres Præneste en Sabinie, & que pluye ne luy deffault enuiron les Feries des pescheurs, & Solstice æstiual. Et surpasse la haulteur des arbres, comme vous dictez Dendromalache par l’authorité de Theophraste : quoy que herbe soit par chascun an deperissante : non arbre en racine, tronc, caudice, & rameaux perdurante. Et du tige sortent gros & fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous iours : asprettes, comme l’Orcanette : durettes, incisées au tour comme vne faulcille & comme la Betoine : finisantes en poinctes de Sarisse Macedonicque, & comme vne lancette dont vsent les Chirurgiens. La figure d’icelle peu est differente des feueilles de Fresne & Aigremoine : & tant semblable à Eupatoire, que plusieurs herbiers l’ayant dicte domesticque, ont dict Eupatoire estre Pantagruelion sauluaginé. Et sont par rancs en eguale distance esparses au tour du tige en rotondité par nombre en chascun ordre ou de cinq, ou de sept. Tant l’a cherie nature, qu’elle l’a douée en ses feueilles de ces deux nombres impars tant diuins & mysterieux. L’odeur d’icelles est fort, & peu plaisant aux nez delicatz. La semence prouient vers le chef du tige, & peu au dessoubs. Elle est numereuse autant que d’herbe qui soit, sphæricque, oblongue, rhomboïde, noire claire, & comme tannée, durette, couuerte de robbe fragile : delicieuse à tous oyseaulx canores, comme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, & aultres. Mais estainct en l’home la semence generatiue, qui en mangeroit beaucoup & souuent. Et quoy que iadis encre les Grecs d’icelle l’on feist certaines especes de fricassees, tartres, & beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres soupper par friandise & pour trouuer le vin meilleur : si est ce qu’elle est de difficile concoction, offense l’estomach, engendre mauuais sang, & par son excessiue chaleur ferist le cerueau, & remplist la teste de fascheuses & douloreuses vapeurs. Et comme en plusieurs plantes sont deux fexes : masle, & femelle : ce que voyons es Lauriers, Palmes, Chesnes, Heouses, Asphodele, Mandragore, Fougere, Agaric, Aristolochie, Cypres, Terebinthe, Pouliot, Pæone, & aultres : aussi en ceste herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en semence : & femelle, qui foisonne en petites fleurs, blanchastres, inutiles : & ne porte semence qui vaille : & comme est des aultres semblables, ha la feuille plus large, moins dure que le masle, & ne croist en pareille haulteur. On seme cestuy Pantagruelion à la nouuelle venue des hyrondelles, on le tire de terre lors que les Cigalles commencent s’enrouer.


Comment doibt estre preparé & mis en œuure le celebre Pantagruelion.

Chapitre L.

O
n pare le Pantagruelion soubs l’æquinocte automnal en diuerses manieres, scelon la phantasie des peuples, & diuersité des pays. L’enseignement premier de Pantagruel feut, le tige d’icelle deuertir de feueilles & semence : le macerer en Eaue gagnante non courante par cinq iours, si le temps est sec, & l’eaue chaulde, par neuf ou douze, si le temps est nubileux, & l’eaue froyde : puys au Soleil le seicher : puys à l’vmbre le excorticquer, & separer les fibres (es quelles, comme auons dict, consiste tout son pris & valeur) de la partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu’à faire flambe lumineuse, allumer le feu, & pour l’esbat des petitz enfans enfler les vessies de porc. D’elle vsent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour sugser & auecques l’haleine attirer le vin nouueau par le bondon. Quelques Pantagruelistes modernes euitans le labeur des mains qui seroit à faire tel depart, vsent de certains instrumens catharactes composez à la forme que Iuno la fascheuse tenoit les doigts de ses mains liez pour empescher l’enfantement de Alcmene mere de Hercules, & à trauers icelluy contundent & brisent la partie ligneuse, & la rendent inutile, pour en sauluer les fibres. En ceste seule præparation acquiescent ceulx qui contre l’opinion de tout le monde, & en maniere paradoxe à tous Philosophes, guaingnent leur vie à recullons. Ceulx qui à profict plus euident la voulent aualluer, font ce que l’on nous compte du passetemps des troys sœurs Parces : de l’esbatement nocturne de la noble Circe : & de la longue excuse de Penelope enuers ses muguetz amoureux, pendent l’absence de son mary Vlyxes. Ainsi est elle mise en ses inestimables vertus, des quelles vous expouseray partie, (car le tout est à moy vous expouser impossible) si dauant, vous interprete la denomination d’icelle.
Ie trouue que les plantes sont nommées en diuerses manieres. Les vnes ont prins le nom de celluy qui premier les inuenta, congneut, monstra, cultiua, apriuoisa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure : Panacea de Panace, fille de Æsculapius : Armoise, de Artemis, qui est Diane : Eupatoire, du roy Eupator : Telephium, de Telephus : Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba : Clymenos, de Clymenus : Alcibiadion, de Alcibiades : Gentiane, de Gentius roy de Sclauonie. Et tant a esté iadis estimée ceste prærogatiue de imposer son nom aux herbes inuentées, que comme feut controuerse meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux ensemblement trouuée : qui depuys feut Athenes dicte, de Athene c’est à dire Minerue : pareillement Lyncus roy de Scythie se mist en effort de occire en trahison le ieune Triptoleme enuoyé par Ceres pour es homes monstrer le froment lors encores incongneu : affin que par la mort d’icelluy il imposast son nom, & feust en honneur & gloire immorcelle dict inuenteur de ce grain tant vtile & necessaire à la vie humaine. Pour laquelle trahison feut par Ceres transformé en Oince, ou Loupceruier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de seiour en Cappadoce, pour ce seul different, du nom des quelz seroit vne herbe nommée : laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyere.
Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs transportées, comme pommes Medices, ce sont Poncires de Medie, en laquelle feurent premierement trouuées : pommes Punicques, ce sont Grenades, apportées de Punicie, c’est Carthage. Ligusticum, c’est Liuesche, apportée de Ligurie, c’est la couste de Genes. Rhabarbe, du fleuue Barbare nommé Rha, comme atteste Ammianus : Santonicque, fœnu Grec : Castanes, Persicques, Sabine, Stœchas, de mes isles Hieres anticquement dictez Stœchades, Spica Celtica, & aultres.
Les aultres ont leur nom par Antiphrase & contrariété : comme Absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux à boyre : Holosteon, c’est tout de os : au contraire, car herbe n’est en nature plus fragile & plus tendre, qu’il est.
Aulcres sont nommées par leurs vertus & operations, comme Aristolochia, qui ayde les femmes en mal d’enfant. Lichen qui guerit les maladies de son nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheueulx beaulx. Alyssum, Ephemerum, Bechium, Nasturtium, qui est Cresson Alenoys : Hyoscyame, hanebanes, & aultres.
Les aultres par les admirables qualitez qu’on a veu en elles, comme Heliotrope, c’est Soulcil, qui suyt le Soleil. Car le Soleil leuant, il s’espanouist : montant, il monte : declinant, il decline : soy cachant, il se cloust. Adiantum : car iamais ne retient humidité, quoy qu’il naisse pres les eaues, & quoy qu’on le plongeast en eaue par bien long temps : Hieracia, Eryngion, & aultres.
Aultres par Metamorphose d’homes & femmes de nom semblable : comme Daphne, c’est Laurier, de Daphne : Myrte, de Myrsine : Pytis, de Pytis : Cynara, c’est Artichault : Narcisse, Saphran, Smilax, & aultres.
Aultres par similitude, comme Hippuris (c’est Prelle) car elle resemble à queue de Cheual : Alopecuros, qui semble à la queue de Renard : Psylion, qui semble à la Pusse : Delphinium, au Daulphin : Buglosse, à langue de Beuf : Iris, à l’arc en ciel, en ses fleurs : Myosota, à l’aureille de Souriz : Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination sont dictz les Fabies, des Febues : les Pisons, des Poys : les Lentules, des Lentiles : les Cicerons, des poys Chices. Comme encores par plus haulte resemblance est dict le nombril de Venus, les cheueulx de Venus, la cuue de Venus, la barbe de Iuppiter, l’œil de Iuppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure : Hermodactyles : & aultres.
Les aultres de leurs formes : comme Trefeueil, qui ha trois feueilles : Pentaphyllon, qui a cinq feueilles : Serpoullet, qui herpe concre terre : Helxine, Petasites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz semblent à gland, & sont vnctueux.


Pourquoy est dicte Pantagruelion, & des admirables vertus d’icelle.

Chapitre LI.

P
ar ces manieres (exceptez la fabuleuse, car de fable ia Dieu ne plaise que vsions en ceste tant veritable histoire) est dicte l’herbe Pantagruelion. Car Pantagruel feut d’icelle inuenteur : ie ne diz pas quant à la plante, mais quant à vn certain vsaige, lequel plus est abhorré & hay des larrons : plus leurs est contraire & ennemy, que ne est la Teigne & Cuscute au Lin, que le Rouseau à la Fougere : que le Presle aux Fauscheurs : que Orobanche aux poys Chices : Ægilops à l’Orge : Securidaca aux Lentilles : Antranium aux Febues : l’Yuraye au Froment : le Lierre aux Murailles : que le Nenufar & Nymphæa Heraclia aux ribaux Moines, que n’est la Ferule & le Boulas aux escholiers de Nauarre, que n’est le Chou, à la Vigne : le Ail, à l’Aymant : l’Oignon, à la veue : la graine de Fougere, aux femmes enceinctes : la semence de Saule, aux Nonnains vitieuses : l’vmbre de If, aux dormans dessoubs : le Aconite, aux Pards & Loups : le flair du Figuier, aux Taureaux indignez : la Cigüe, aux Oisons : le Poupié, aux Dents : l’Huille, aux Arbres. Car maintz d’iceux auons veu par tel vsaige finer leur vie hault & court : à l’exemple de Phyllis royne des Thraces : de Bonosus, Empereur de Rome : de Amate, femme du roy Latin : de Iphis, Auctolia, Licambe, Arachne, Phæda, Leda, Acheus roy de Lydie, & aultres : de ce seulement indignez, que sans estre aultrement mallades, par le Pantagruelion on leurs oppiloit les conduictz, par les quelz sortent les bons motz, & encrent les bons morseaulx, plus villainemcnt que ne feroit la male Angine & mortelle Squinanche.
Aultres auons ouy sus l’instant que Atropos leurs couppoit le fillet de vie, soy griefuement complaignans & lamentans de ce que Pantagruel les tenoit à la guorge. Mais (las) ce n’estoit mie Pantagruel. Il ne feut oncques rouart, c’estoit Pantagruelion, faisant office de hart, & leurs seruant de cornette. Et parloient improprement & en Solœcisme. Si non qu’on les excusast par figure Synecdochique, prenens l’inuention pour l’inuenteur. Comme on prent Ceres pour pain, Bacchus pour vin. Ie vous iure icy par les bons motz qui sont dedans ceste bouteille là qui refraichist dedans ce bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à la guorge si non ceulx qui sont negligens de obuier à la soif imminente.
Aultrement est dicte Pantagruelion par similitude. Car Pantagruel naissant on monde estoit autant grand que l’herbe dont ie vous parle : & en feut prinse la mesure aisement : veu qu’il nasquit on temps de alteration, lors qu’on cuille ladiste herbe, & que le chien de Icarus par les aboys qu’il faict au Soleil, rend tout le monde Troglodyte, & constrainct habiter es caues & lieux subterrains.
Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus & singularitez. Car comme Pantagruel a esté l’Idée & exemplaire de toute ioyeuse perfection, (ie croy que persone de vous aultres Beuueurs n’en doubte) aussi en Pantagruelion ie recongnoys tant de vertus, tant d’energie, tant de perfection, tant d’effectz admirables, que si elle eust esté en ses qualitez congneue lors que les arbres (par la relation du Prophete) feirent election d’vn Roy de boys pour les regir & dominer, elle sans doubte eust emporté la pluralité des voix & suffrages. Diray ie plus ? Si Oxylus filz de Orius l’eust de sa sœur Hamadryas engendrée, plus en la seule valeur d’icelle se feust delecté, qu’en tous ses huyct enfans tant celebrez par nos Mythologes, qui ont leurs noms mis en memoire eternelle. La fille aisnée eut nom Vigne, le filz puysné eut nom Figuier : l’autre Noyer, l’aultre Chesne, l’autre Cormier, l’autre Fenabregue, l’autre Peuplier, le dernier eut nom Vlmeau, & feut grand Chirurgien en son temps.
Ie laisse à vous dire comment le ius d’icelle exprimé & instillé dedans les aureilles tue toute espece de vermine, qui y seroit née par putrefaction, & tout aultre animal qui dedans seroit entré. Si d’icelluy ius vous mettez dedans vn seilleau de eaue, soubdain vous voirez l’eaue prinse, comme si feussent caillebotes, tant est grande sa vertus. Et est l’eaue ainsi caillée remede præsent aux cheuaulx coliqueux, & qui tirent des flans. La racine d’icelle cuicte en eaue, remollist les nerfz retirez, les ioinctures contractes, les podagres sclirrhotiques, & les gouttes nouées. Si promptement voulez guerir vne bruslure, soit d’eaue, soit de feu, applicquez y du Pantagruelion crud, c’est à dire tel qui naist de terre, sans aultre appareil ne composition. Et ayez esguard de le changer ainsi que le voirez deseichant sus le mal. Sans elle seroient les cuisines infames, les tables detestables, quoy que couuertes feussent de toutes viandes exquises : les lictz sans delices, quoy que y feult en abondance Or, Argent, Electre, Iuoyre, & Porphyre. Sans elle ne porteroient les Meusniers bled au moulin, n’en rapporteroient farine. Sans elle comment seroient portez les playdoiers des Aduocatz à l’auditoire ? Comment seroit sans elle porté le plastre à l’hastellier ? Sans elle comment seroit tirée l’eaue du puyz ? Sans elle que feroient les Tabellions, les Copistes, les Secretaires, & Escriuains ? Ne periroient les Pantarques & papiers rantiers ? Ne periroit le noble art d’Imprimerie ? De quoy feroit on chassis ? Comment sonneroit on les cloches ? D’elle sont les Isiacques ornez, les Pastophores reuestuz, toute humaine nature couuerte en premiere position. Toutes les arbres lanificques des Seres, les Gossampines de Tyle en la mer Persicque, les Cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne vestissent tant de persones, que faict ceste herbe seulette. Couure les armées contre le froid & la pluye, plus certes commodement que iadis ne faisoient les peaulx. Couure les Theatres & Amphitheatres contre la chaleur, ceinct les boys & taillis au plaisir des chasseurs, descend en eaue tant doulce que marine au profict des pescheurs. Par elle sont bottes, botines, botasses, houzeaulx, brodequins, souliers, escarpins, pantofles, sauattes mises en forme & vsaige. Par elle sont les arcs tendus, les arbelestes bandées, les fondes faictes. Et comme si feust herbe sacre, Verbenicque, & reuerée des Manes & Lemures les corps humains mors sans elle ne sont inhumez.
Ie diray plus. Icelle herbe moyenante les  substances inuisibles visiblement sont arrestées, prinses detenues, & comme en prison mises. A leur prinse & arrest sont les grosses & pesantes moles tournées agilement à insigne profict de la vie humaine. Et m’esbahys comment l’inuention de tel vsaige a esté par tant de siecles celé aux antiques Philosophes, veue l’vtilité impréciable qui en prouient : veu le labeur intolerable, que sans elle ilz supportoient en leurs pistrines. Icelle moyenant, par la retention des flots aërez sont les grosses Orchades, les amples Thalameges, les fors Guallions, les Naufz Chiliandres & Myriandres de leurs stations enleuées, & poussées à l’arbitre de leurs gouuerneurs. Icelle moyenant, sont les nations, que Nature sembloit tenir absconfes, impermeables, & incongneues : à nous venues, nous à elles. Chose que ne feroient les oyseaulx, quelque legiereté de pennaige qu’ilz ayent, & quelque liberté de nager en l’aër, que leurs soit baillée par Nature. Taprobrana a veu Lappia : Iaua a veu les mons Riphées : Phebol voyra Theleme : Les Islandoys & Engronelands boyront Euphrates. Par elle Boreas a veu le manoir de Auster : Eurus a visité Zephire. De mode que les Intelligences celestes, les Dieux tant marins que terrestres en ont esté tous effrayez, voyans par l’vsaige de cestuy benedict Pantagruelion, les peuples Arcticques en plein aspect des Antarctiques, franchir la mer Athlanticque, passer les deux Tropicques, volter soubs la Zone torride, mesurer tout le Zodiacque, s’esbatre soubs l’Æquinoctial, auoir l’vn & l’aultre Pole en veue à fleur de leur Orizon. Les Dieux Olympicques ont en pareil effroy dict. Pantagruel nous a mis en pensement nouueau & tedieux, plus que oncques ne feirent les Aloïdes, par l’vsaige & vertus de son herbe. Il sera de brief marié, de sa femme aura enfans. A ceste destinée ne pouons nous contreuenir : car elle est passée par les mains & fuseaulx des sœurs fatales, filles de Necessité. Par ses enfans (peut estre) sera inuentée herbe de semblable energie : moyenant laquelle pourront les humains visiter les fources des gresles, les bondes des pluyes, & l’officine des fouldres : pourront enuahir les regions de la Lune, entrer le territoire des signes celestes, & là prendre logis, les vns à l’Aigle d’or, les aultres au Mouton, les aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les aultres au Lion d’argent : s’asseoir à table auecques nous, & nos Déesses prendre à femmes, qui sont les feulx moyens d’estre deifiez. En fin ont mis le remede de y obuier en deliberation, & au conseil.

antagruelion ne peut estre par feu consommée.

Chapitre LII.

C
e que ie vous ay dict, est grand & admirable. Mais si vouliez vous hazarder de croire quelque aultre diuinité de ce sacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non, ce m’est tout vn : me suffist vous auoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d’accés assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i’auoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & vne d’eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous ? comment les separeriez vous ? de maniere que vous me rendriez l’eau à part sans le vin, le vin sans l’eau, en mesure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nauconniers amenans pour la prouision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes, & bussars de vin de Graue, d’Orleans, de Beaulne, de Myreuaulx, les auoient buffetez & beuz à demy, le reste emplissans d’eau, comme font les Limosins à belz esclotz, charroyans les vins d’Argenton, & Sangaultier : comment en housteriez vous l’eau entièrement ? Comment les purifieriez vous ? I’entends bien, vous me parlez d’vn entonnoir de Lierre. Cela est escript. Il est vray & aueré par mille experiences, vous le sçauiez desia. Mais ceulx qui ne l’ont sceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient possible. Passons oultre.
Si nous estions du temps de Sylla, Marius, Cæsar & aultres Romains empereurs, ou du temps de nos antiques Druydes, qui faisoient brusler les corps mors de leurs parens & seigneurs, & voulussiez les cendres de vos femmes, ou peres boyre en infusion de quelque bon vin blanc, comme feist Artemisia les cendres de Mausolus son mary, ou aultrement les reseruer entieres en quelque vrne, & reliquaire : comment saulueriez vous icelles cendres à part, & separées des cendres du bust & feu funeral ? Respondez. Par ma figue, vous seriez bien empeschez. Ie vous en despesche. Et vous diz, que prenent de ce celeste Pantagruelion autant qu’en fauldroit pour couurir le corps du defunct, & ledict corps ayant bien à poinct enclous dedans, lié & cousu de mesmes matiere, iectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez : le feu à trauers le Pantagruelion bruslera & redigera en cendres le corps & les oz : le Pantagruelion non seulement ne sera consumé ne ards, & ne deperdera vn seul atome des cendres dedans encloses, ne recepura vn seul atome des cendres bustuaires, mais sera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc, & plus net que ne l’y auiez iecté. Pourtant est il appellé Asbeston. Vous en trouuerez foison en Carpasie, & soubs le climat Dia Cyenes, à bon marché. O chose grande ! chose admirable ? Le feu qui tout deuore, tout deguaste, & consume : nettoye, purge, & blanchist ce seul Pantagruelion Carpasien Asbestin. Si de ce vous defiez, & en demandez assertion & signe vsual comme Iuifz & incredules : prenez vn œuf fraiz & le liez circulairement auecques ce diuin Pantagruelion. Ainsi lié mettez le dedans le brasier tant grand & ardent que vouldrez. Laissez le si long temps que vouldrez. En fin vous tirerez l’œuf cuyt, dur, & bruslé, sans alteration, immutation, ne eschauffement du sacre Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille escuz Bourdeloys, amoderez à la douzieme partie d’vne Pithe, vous en aurez faict l’experience. Ne me parragonnez poinct icy la Salamandre, c’est abus. Ie confesse bien que petit feu de paille la vegete & resiouist. Mais ie vous asceure que en grande fournaise elle est comme tout aultre animant, suffoquée, & consumée. Nous en auons veu l’experience. Galen l’auoit long temps a confermé & demonstré lib. 3. de temperamentis, & le maintient Dioscorides lib. 2. Icy ne me alleguez l’alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire brusler, pource que Archelaus gouuerneur de la ville pour le roy Mithridates, l’auoit toute enduicte d’alum. Ne me comparez icy celle arbre que Alexander Cornelius nommoit Eonem, & la disoit estre semblable au Chesne qui porte le Guy : & ne pouoir estr ne par eau, ne par feu consommée ou endommagée, non plus que le Guy de chesne, & d’icelle auoir esté faicte & bastie la tant celebre nauire Argos. Cherchez qui le croye. Ie m’en excuse. Ne me parragonnez aussi, quoy que mirificque soit celle espece d’arbre que voyez par les montaignes de Briançon, & Ambrun, laquelle de sa racine nous produit le bon Agaric, de son corps nous rend la resine tant excellente que Galen l’ause æquiparer à la Terebinthine : sus ses feueilles delicates nous retient le fin miel du ciel, c’est la Manne : & quoy que gommeuse & vnctueuse soit, est inconsumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin : les Alpinois la nomment Melze : les Antenorides & Venetians, Larege. Dont feut dict Larignum le chasteau en Piedmont : lequel trompa Iule Cæsar venent es Gaules. Iule Cæsar auoit faict commendement à tous les manens & habitans des Alpes & Piedmont, qu’ilz eussent à porter viures & munitions es estappes dressées sus la voie militaire, pour son oust passant oultre. Au quel tous furent obeissans, exceptez ceulx qui estoient dedans Larigno, les quelz soy confians en la force naturelle du lieu, refuserent à la contribution. Pour les chastier de ce refus, l’Empereur feist droict au lieu acheminer son armée. Dauant la porte du chasteau estoit vne tour bastie de gros cheurons de Larix lassez l’vn sus l’autre alternatiuement comme vne pyle de boys, continuans en telle hauteur, que des machicoulis facilement on pouoit auecques pierres & liuiers debouter ceulx qui approcheroient. Quand Cæsar entendit que ceulx du dedans n’auoient aultres defenses que pierres & liuiers, & que à poine les pouoient ilz darder iusques aux approches, commenda à ses foubdars iecter au tour force fagotz, & y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flambe feut si grande & si haulte, qu’elle couurit tout le chasteau. Dont penserent que bien tost apres la tour seroit arse & demollie. Mais cessant la flambe, & les fagotz confumez, la tour apparut entiere, sans en rien estre endommagée. Ce que consyderant Cæsar, commenda que hors le iect des pierres tout au tour l’on feist vne seine de fofiez & bouclus. Adoncques les Larignans se rendirent à composition. Et par leur recit congneut Cæsar l’admirable nature de ce boys, lequel de soy ne faict feu, flambe, ne charbon : & seroit digne en ceste qualité d’estre on degré mis de vray Pantagruelion, & d’autant plus que Pantagruel d’icelluy voulut estre faictz tous les huys, portes, fenestres, goustieres, larmiers, & l’ambrun de Theleme : pareillement d’icelluy feist couurir les pouppes, prores, sougons, tillacs, coursies, & rambades de ses carracons, nauires, gualeres, gualions, brigantins, fustes, & aultres vaisseaulx de son arsenac de Thalasse : ne feust que Larix en grande fournaise de feu prouenent d’aultres especes de boys, est en fin corrumpu & dissipé, comme sont les pierres en fourneau de chaulx. Pantagruelion Asbeste plus tost y est renouuelé & nettoyé, que corrumpu ou altéré. Pourtant
Indes, cessez, Arabes, Sabiens,
Tant collauder vos Myrrhe, Encent, Ebene,
Venez icy recongoistre nos biens,
Et emportez de nostre herbe la grene.
Puys si chez vous peut croistre, en bonne estrene,
Graces rendez es cieulx vn million :
Et affermez de France heureux le regne,
On quel prouient Pantagruelion.

Fin du troisiesme liure des faicts
& dicts Heroïcques du

bon Pantagruel.

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